Patrick Eperon: “C’est un non-sens économique et une punition”

Le 13 juin, le peuple suisse sera appelé aux urnes pour s’exprimer sur la nouvelle loi sur le CO2. Patrick Eperon, responsable politique mobilité au Centre Patronal vaudois nous explique les arguments du Comité référendaire, qui regroupe 13 faîtières de professionnels liés aux transports et à la mobilité. Si le fond, à avoir la protection du climat, ne fait pas débat, la forme que prend cette nouvelle loi, entre taxes, interdictions et redistributions mal ciblées, multiplie les contraintes durables et engendre des coûts exorbitants.

Patrick Eperon,
Responsable politique mobilité au Centre Patronal Vaudois

– Votre comité référendaire a récolté des signatures contre la loi sur le CO2 sous l’étiquette «Rester raisonnable». En quoi cette loi est-elle déraisonnable?

– La nouvelle loi sur le CO2 présente un très mauvais rapport coût-résultat. Elle est coûteuse par l’augmentation de taxes existantes et l’introduction de nouvelles. Cette loi est aussi antisociale, puisque ces taxes ponctionnent la consommation et ne sont pas liées aux revenus de celles et ceux qui doivent les payer. Enfin, cette loi se révèle inefficace dans ses objectifs, soit la réduction de 50% des émissions de CO2 de la Suisse d’ici 2030, qui représentent aujourd’hui 1 pour mille des émissions mondiales. Avec cette nouvelle loi, nous aurons donc, au mieux, contribué à la baisse des émissions mondiales de CO2 de 0,5 pour mille en 2030. Un résultat quasi insignifiant et à peine mesurable, obtenu à des coûts exorbitants .

– L’Accord de Paris sur le climat de 2015, où la nouvelle loi sur le CO2 puise son inspiration, favorise l’innovation et non les sanctions. Comment expliquez-vous que nos politiques aient édicté une loi si liberticide?

– L’Accord de Paris vise à limiter le réchauffement climatique en-dessous de 2 °C et poursuivre les efforts pour le limiter à 1,5 °C. L’Accord ne demande pas que chaque pays signataire fixe des objectifs de réduction des émissions de CO2 à réaliser sur son propre territoire. Or, le Parlement suisse a décidé de son propre chef, que 75% des émissions de CO2 imputables à la Suisse devaient être réduites dans notre pays. Le tout sans considérer ni le ratio coût-résultat, ni qu’une politique climatique devrait être coordonnée au niveau mondial. Cette approche est un non-sens économique et une punition qui va à l’encontre de l’esprit de l’Accord de Paris. Deux raisons l’expliquent: d’une part la volonté «d’expiation des péchés» de la part des milieux écologistes et de la gauche, dans leur logique de restriction et de contrôle étatique. D’autre part, on retrouve cette volonté de «suissitude», d’incarner à tout prix la perfection en faisant fi des énormes progrès déjà réalisés par les acteurs de l’économie suisse. Enfin, la loi ne favorise pas vraiment l’innovation. Elle ignore tout un pan de l’économie qui travaille déjà, par exemple, sur la valorisation du CO2 et sa transformation en ressource. Voilà comment on arrive à une loi punitive au nom de l’Accord de Paris.

– Quel serait l’impact de cette nouvelle loi sur le CO2 sur l’économie?

– Le Conseil fédéral a annoncé, lors de la présentation du projet de loi devant le Parlement, qu’il y aurait un impact non négligeable sur notre PIB d’ici à 2030. Depuis, le législatif a fortement durci le projet de loi, ce qui de facto augmente les impacts négatifs. De nombreux secteurs de l’économie ont souffert de la crise de la Covid et mettront des années à s’en relever. Ajouter les nouvelles contraintes de la loi sur le CO2 sera un coup d’assommoir pour beaucoup d’entreprises.

– Et pour les particuliers?

– Berne veut faire avaler au citoyen le mythe de la «taxe magique», faire croire que via le mécanisme de redistribution du produit de la taxe intégré dans la loi, tout le monde touchera plus qu’il n’aura payé au préalable. C’est par définition impossible! Prenons l’exemple de la taxe sur les combustibles: le critère de redistribution partielle est la masse salariale d’une entreprise. Une grande société de services, comme une banque ou une assurance, peu consommatrice d’énergie pour son activité, gagnera davantage par la redistribution que ce qu’elle aura effectivement payé. En revanche, le boulanger du village, dont la masse salariale est faible en comparaison et qui utilise du gaz ou du mazout pour chauffer son four, verra ses charges augmenter! Il y aura donc une majorité de payeurs et une minorité de bénéficiaires. Par ailleurs, les subventions allouées au titre de la loi profiteront à une minorité d’entreprises.

– Concrètement, quel sera le coût de la mobilité, pour un automobiliste par exemple?

– La conseillère fédérale Sommaruga nous affirme que le surcoût engendré par toutes les taxes au titre de la loi sur le CO2 ne dépassera pas les 100.- francs par année et par famille. C’est un mensonge scandaleux! A titre d’exemple, l’automobiliste suisse moyen parcourt environ 13 000 km par an, à raison d’une consommation moyenne d’essence de 7 l/100 km. Aux 4 centimes supplémentaires en vigueur depuis le 1er janvier 2021 s’ajouteront les 12 centimes de la nouvelle loi CO2. Cela fait donc 16 centimes d’augmentation du prix de l’essence, soit plus de 145.- francs de surcoût pour notre automo-biliste, sans compter la TVA. Et ces taxes sur l’essence sont exclues des mécanismes de redistribution! S’ajoutent ensuite les autres taxes, par exemple celle sur le combustible de chauffage ou celle sur les billets d’avion. Enfin, le renchérissement du litre d’essence pourrait atteindre 20 centimes. La nouvelle loi sur le CO2 engendre en effet la création d’un Fonds pour le climat, financé en partie par une ponction sur les pénalités payées par les importateurs automobiles pour dépassement de la valeur maximale d’émission de leur flotte (95 g/km). Lors de la votation sur le fonds routier Forta en 2017, le peuple et les cantons ont voulu que l’intégralité de ces pénalités alimentent le fonds routier. Or, avec la nouvelle loi sur le CO2, le Parlement trahit la volonté populaire en privant Forta d’une partie de ses revenus au profit du Fonds pour le climat. Ce qui risquera d’actionner automatiquement le mécanisme du fonds Forta en cas de financement insuffisant, soit une ponction de 4 centimes supplémentaires par litre de carburant.

– Au-delà des nouvelles taxes, quels seront les coûts induits par la nouvelle loi sur le CO2?

– Ils concernent d’une part l’assainissement énergétique des bâtiments et seront considérables. A terme, la loi interdira de facto les chauffages à mazout et à gaz, qui équipent 60% des bâtiments de ce pays. Ce changement de technologie s’accompagne de la réfection de l’enveloppe extérieure des immeubles. Les premiers impactés seront les propriétaires âgés, qui ont acquis un bien immobilier il y a longtemps, devenu obsolète sur le plan énergétique. Les coûts de mise aux normes actuelles sont considérables et une fois à la retraite, l’accès à l’emprunt hypothécaire est limité, voire impossible. Se pose alors la question de pouvoir conserver son bien immobilier et/ou pouvoir le re- vendre à un prix convenable.
S’agissant de la mobilité, l’offre de véhicules électrifiés s’étoffe certes peu à peu et les constructeurs consentent des efforts énormes. Mais l’accès à ces propulsions présente toujours un surcoût par rapport à un véhicule thermique équivalent. Nous allons vivre par ailleurs une sortie de crise Covid-19 durant laquelle l’investissement dans un nouveau véhicule passe au second plan. Il manque enfin des réponses concrètes quant à la disponibilité des bornes de recharge pour un parc de véhicules électrifiés croissant de manière exponentielle, dans un pays de locataires. Enfin, si l’intention de substituer les carburants fossiles par l’électricité est louable, encore faut-il que l’approvisionnement électrique soit suffisant alors que la démographie augmente, que la production d’énergie électrique diminue à mesure que les centrales nucléaires ferment et que l’installation d’éoliennes dans nos contrées est systématiquement bloquée.

– Quelles seraient les conséquences du refus de la loi sur le CO2 le 13 juin?

– Il n’y aura pas de vide juridique. Contrairement à ce qu’avancent les partisans de la nouvelle loi, la loi actuellement en vigueur le restera. Elle a aussi démontré son efficacité, car depuis 10 ans les émissions de CO2 en Suisse par habitant ont diminué de presque 24%. C’est un fait. Le dispositif légal existant est donc pertinent. La loi actuelle permet des ajustements qui devraient être décidés en fonction des décisions qui seront prises dans d’autres pays; je pense notamment à l’administration Biden aux Etats-Unis, qui devrait donner un signal clair, s’agissant d’un pays fortement émetteur de CO2. Il sera enfin judicieux d’inverser la logique, par la promotion de l’innovation au lieu de la punition, en favorisant la recherche pour faire du CO2 non plus un déchet, mais une ressource.

Propos recueillis par Jérôme Marchon