“C’est de toute manière le consommateur, au final, qui paiera ces nouvelles taxes”
La campagne autour de la nouvelle loi sur le CO2 soumise au peuple le 13 juin prochain a, pour le consommateur, bien plus d’impact que ce que nos politiques veulent nous faire croire. Thierry Bolle, président de l’UPSA Genève, et Christophe Pradervand, président de l’ASTAG Genève, tous deux membres du Comité de RouteGenève, nous exposent en trois réponses chacun les enjeux et leurs inquiétudes.


Thierry Bolle,
Président de l’UPSA Genève et membre du comité RouteGenève

Christophe Pradervand,
Président de l’ASTAG Genève et membre du comité RouteGenève
Ce sont deux acteurs majeurs de la mobilité et des transports dans le canton de Genève. Thierry Bolle, président de la section genevoise de l’UPSA, faîtière des garagistes, et Christophe Pradervand, son homologue de l’ASTAG, faîtière des transporteurs routiers, sont particulièrement préoccupés par les impacts gigantesques qu’engendra l’éventuelle entrée en vigueur de la nouvelle loi sur le CO2, pour leurs membres, mais aussi leurs clients.
– Quel regard portez-vous sur le contexte dans lequel cette loi a été conçue?
– Thierry Bolle: On veut clairement manger avant de mettre la table. Nous comprenons bien entendu les enjeux liés au climat. Nous sommes des acteurs de la mobilité, la connaissons mieux que quiconque. La branche automobile, ces dernières années, a évolué comme personne d’autre afin de diminuer son impact sur l’environnement. La machine est en marche et avance déjà à pas de géant. Pourquoi vouloir tout d’un coup accélérer le rythme, sous prétexte qu’il y a urgence? Et quelle est cette urgence? Pour réduire d’un demi pour mille les émissions de CO2 au niveau mondial? Nos politiques auraient dû empoigner le dossier il y a bien longtemps et de manière réfléchie, sur un horizon temps qui permette une implantation étape par étape avec un maximum d’efficacité et des contraintes mesurées qui ne foulent pas la liberté de déplacement qu’offre la mobilité individuelle: «une transition douce pour la mobilité douce». Aujourd’hui, il n’y a aucune concertation, les projets sont lancés chacun dans leur coin avant même de savoir s’ils correspondent à une réelle nécessité, voire si l’industrie n’est pas en train d’y répondre par la recherche et l’innovation. Ensuite, il y a l’aspect punitif de cette loi, qui ne mènera nulle part à part garnir les caisses de l’Etat. Ce n’est pas par les taxes que nous changerons les habitudes. Regardez le tabac: lorsque le paquet de cigarettes valait 2.50 CHF, on pensait que les fumeurs arrêteraient de fumer si le prix passait à 5 CHF. Les fumeurs continuent de fumer, c’est un échec total. Cette nouvelle loi sur le CO2 est une hérésie. En outre, sur le plan régional, à Genève, elle s’ajoute à la nouvelle imposition des véhicules qui demandera déjà de nombreux sacrifices.
– Christophe Pradervand: Si le transport de marchandises à traversé la crise de la Covid-19 non sans dommages, le transport de personnes est, lui, totalement sinistré. Les autocaristes n’ont pas roulé un seul ki- lomètre depuis plus d’un an. Le contexte actuel ne se prête pas du tout, sur le plan financier, à l’introduction de nouvelles taxes, ni à l’obligation d’effectuer de nouveaux investissements. D’un point de vue structurel, le secteur des transports dégage aujourd’hui de très faibles marges. La faute à une concurrence féroce avec les transporteurs étrangers, et ce bien que le cabotage soit interdit en Suisse. Enfin, les exigences de la RPLP nous obligent d’ores et déjà à adapter nos flottes de véhicules pour qu’ils soient le plus propre possible. Cette nouvelle loi sur le CO2 ajoute une nouvelle pression inutile sur notre secteur d’activité. Et effectivement, aujourd’hui on tape sur le transport routier sans pour autant avoir fait évoluer les infrastructures ferroviaires, par exemple, pour pouvoir procéder à un meilleur transfert de la route vers le rail.

– Concrètement, quel sera l’impact de l’introduction de la nouvelle loi CO2 pour vos membres et leur clientèle?
– Thierry Bolle: S’agissant des garagistes, cela dépendra en partie des importateurs. Aujourd’hui, les pénalité auxquelles ils sont soumis pour dépassement de la limite d’émission de CO2 de la flotte de véhicules importés ne sont pas reportées sur la clientèle. Il est imaginable qu’un jour les importateurs décident ou soient contraints de le faire. Ensuite, le renchérissement du coût du transport routier, que ce soit pour livrer les véhicules neufs dans les garages ou le transport des déchets de nos ateliers dans les centres de recyclage, devra, d’une manière ou d’une autre, être couvert. Et il n’y a pas d’autre alternative que l’augmentation du tarif de nos prestations. Sans parler des éventuels investissements que les garages devront réaliser sur leur infrastructure, comme le remplacement d’une chaudière à mazout par un autre système que la loi accepte. Enfin, nos clients seront en outre directement impactés par l’augmentation du prix des carburants, taxes qu’ils ne récupèreront d’aucune manière dans le cadre de cette nouvelle loi.
– Christophe Pradervand: Très honnêtement, il nous sera impossible de ne pas reporter les coûts induits par cette nouvelle loi sur nos clients. Nous ne pourrons y faire face. A titre d’exemple, un camion pour la collecte des déchets coûte aujourd’hui aux environ de 250 000 francs avec une motorisation diesel de dernière génération. Passer sur un camion similaire électrique coûte plus de 1,2 million. Voilà les proportions auxquelles nous sommes confrontés. Seules les grandes entreprises ou les distributeurs comme Coop et Migros peuvent se permettre ce genre d’investissements. De plus, pour de nombreuses entreprises, cette nouvelle loi obligera l’investissement dans de nouveaux véhicules, alors que ceux qu’elles possèdent ne sont pas encore arrivés en fin de vie. Etrangement, personne ne se préoccupe de l’énergie grise ainsi gaspillée! Enfin, pour les entreprises incapables de procéder au renouvellement de leur flotte, l’assommoir des taxes s’abattra sur elles. Il ne faut pas oublier que chaque produit consommé en Suisse a été transporté au moins une fois par la route dans un camion. L’intégralité du transport sur le dernier kilomètre est réalisé par la route. Toute la population est donc impactée par l’introduction de ces nouvelles taxes, même si elle ne possède pas de véhicule. Peu importe de quel côté la problématique est observée, c’est de toute manière le consommateur, au final, qui paiera ces nouvelles taxes.

– Dans l’hypothèse d’un refus de la loi CO2 par le peuple, ce sera le statu quo?
– Thierry Bolle: Pas le moins du monde. Encore une fois, la problématique climatique est au centre des préoccupations des acteurs de l’automobile et des constructeurs. L’offre de véhicules efficients ne cesse de s’étoffer; les clients ont compris leur intérêt et y trouvent aussi leur compte. Il ne fait aucun doute que nous nous dirigeons irrémédiablement vers une mobilité neutre en carbone par le progrès technique naturel. Laissons-lui le temps de faire son œuvre. Au lieu de réagir avec retard et de brandir la punition comme seul recours à l’image de ce qui se passe aujourd’hui, il est du devoir de la politique de favoriser l’innovation et la recherche, tout en anticipant et adaptant les infrastructures.
– Christophe Pradervand: Le constat est le même pour les transports. Vous n’imaginez pas les progrès techniques réalisés sur les poids-lourds ces dernières années, entre les multiples filtres à particules et les systèmes annexes de dépollution comme l’AdBlue. L’hydrogène sera assurément la propulsion d’avenir pour les transports, en termes d’efficience et de facilité d’utilisation. Cette technologie arrive peu à peu. Mais les infrastructures sont difficiles à mettre en place, même si depuis quelques mois les choses bougent. Notre responsabilité vis-à-vis de l’environnement est une préoccupation centrale de notre activité.
Propos recueillis par Jérôme Marchon